" Fou noir/reine blanche : la symbolique de la femme blanche dans les premiers romans de Chester Himes (If He Hollers Let Him Go (45), Lonely Crusade (47) et The End of a Primitive (56)) "

Cet article s'intéresse à trois romans d'inspiration largement autobiographiques de Chester Himes, publiés entre 1945 et 1953, juste après la période carcérale de Himes au cours de laquelle il est devenu écrivain. Les trois textes soulèvent la question de la destruction, par la société américaine, de l'homme noir, et Himes poursuit son analyse de volume en volume, creusant toujours davantage sa recherche. C'est le rôle joué par la femme blanche, reine d'un jeu d'échecs complexe, que cet article se propose d'étudier chronologiquement, en montrant comment Himes explore d'abord consciencieusement les stéréotypes de la question inter-raciale pour élaborer une théorie implacable qu'il transcende dans un dernier texte où ne demeure plus qu'une lutte frontale entre deux sexes, deux races, deux névroses aussi destructeurs l'un que l'autre. Dans If He Hollers Let Him Go, Himes choisit pour son premier roman de développer une situation archétypale (la femme, reine déchue, provoque le noir et le piège dans le rôle du Nègre violeur avant de hurler au loup, provoquant ainsi la menace d'un lynchage au parfum à la fois racial et sexuel). Le motivations de la femme blanche sont troubles, autant que le désir du Noir qui se mêle à sa peur instinctive : terrorisé par la reine et le désir qu'il a pour elle, le fou noir subit castration et viol symboliques. Reprenant les mécanismes de la mythologie raciale de la société américaine, Himes signe un roman implacable mais caricatural. Dans Lonely Crusade, la même réflexion se double d'une analyse plus politique, Himes réglant ses comptes avec le Parti Communiste et les illusions idéalistes qu'il avait pu entretenir en le fréquentant : l'intrigue démontre l'impossibilité de toute relation inter-raciale et l'hypocrisie d'une société qui prétend le contraire. Himes pousse beaucoup plus loin la mise en scène de relations sexuelles entre noirs et blancs, postulant clairement que le problème racial aux Etats-Unis est irrémédiablement lié à un problème sexuel dont il développe toutes les variantes possibles. Enfin, The End of a Primitive propose une version théâtralisée de l'affrontement entre la femme blanche et le noir : dans ce hui-clos d'une violence crue s'affrontent deux corps nus et vieillis, deux esprits imbibés d'alcool et mûs par l'auto-destruction et le désir d'avilissement. La femme blanche, assène Himes, est tellement détruite et sexuellement humiliée par la société américaine qu'elle voit en l'homme noir, aussi dégradé qu'elle, le partenaire idéal pour aller jusqu'au bout de ses frustrations et penchants masochistes. Le roman semble épuiser la quête obsessionnelle de Himes : épuré, dénué de toute analyse sociale, historique ou idéologique, il en reste au constat brut, aux couleurs primaires d'une véritable tragédie américaine